Prêt-à-porter, le milieu de gamme a-t-il encore un avenir ?
Prêt-à-porter, le milieu de gamme a-t-il encore un avenir ?
Grèves, covid, augmentation des loyers, centres-villes désertés au profit des zones commerciales périphériques, augmentation du coût des matières premières, de l’énergie et des transports etc. Ces fléaux bien connus frappent le commerce dans son ensemble.Mais le milieu de gamme (MDG) souffre plus que les autres segments car il rencontre des difficultés qui lui sont propres. Voici les principales :
Le commerce, reflet de la société
Les classes moyennes des sociétés occidentales ont payé le prix de la mondialisation des 20 dernières années, ce phénomène est largement documenté dans un rapport de l’OCDE paru en 2019 « sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse», ou encore dans le livre « No Society » du géographe et chercheur Christophe Guilluy.
Jusque-là majoritaire en nombre, elle a été tirée vers le bas, par la désindustrialisation et l’érosion de son pouvoir d’achat, pendant que seuls les plus éduqués travaillant dans les grandes métropoles et pour les secteurs profitant de la mondialisation ont pu accéder à la classe supérieure. La classe moyenne se paupérise donc, entraînant une diminution régulière de la clientèle cible du MDG, dont la forte implantation provinciale est devenu un handicap.
La guerre des prix
Face à l’arrivée de nouveau concurrents mieux placés en prix sans être moins désirables (Zara, H&M, Mango etc.) et entérinant la baisse de pouvoir d’achat de sa clientèle, le MDG a engagé une guerre des prix en multipliant les remises, vues comme seul moyen de générer du trafic. Incapable de conserver la marge en taux, les enseignes ont tenté de la conserver en volume, en produisant pour des vagues toujours plus nombreuses de promotions. La délocalisation est devenue indispensable pour baisser les coûts mais le « made in china » n’a fait que baisser le rapport qualité/ prix dans l’esprit des clients. Certaines marques ont même baissé leur grade de qualité, achevant de décevoir leurs fidèles.
Par ailleurs, passer de 15% de promotions dans son chiffre d’affaires à 40%, conduit à acheter des volumes conséquents, ce qui a eu pour effet de siphonner le cashflow des entreprises tout en leur faisant courir un risque significatif en cas d’insuccès.
Que faire des montagnes d’invendus ? Ouvrir des outlets ! Mais ce marché n’est qu’une façon de continuer la guerre des prix, en prenant cette fois le risque de concurrencer sa propre offre full price.
Au final, si le marché du prêt à porter s’est contracté de 15% durant les 10 dernières années, c’est aussi à cause des promotions, qui ont impacté le prix de vente moyen sans pleinement bénéficier au nombre de pièces vendues. Nous ne sommes plus dans un marché d’équipement et de besoins mais de loisir et d’envies.
Ringardisé par le Premium
«The reason it seems that price is all your customers care about is that you haven't given them anything else to care about» Seth Godin.
Les marques du MDG sont nées dans les années 80, elles ont régné sur la mode jusqu’au milieu des années 2000. Entre temps, les marques «Premium» ont fait le pari d’un style plus affirmé. À l’instar de Zadig & Voltaire, elles se sont habilement inspirées des techniques marketing du luxe pour cibler une clientèle urbaine qui a les moyens de faire passer l’image avant le prix. Le Premium est aussi un pari créatif, dans l’air du temps, qui mise sur l’appartenance à une tribu, à un style de vie. La cliente revendique sa différence par sa tenue et des pièces plus exclusives.
De son côté, toujours persuadé que le prix fait la différence, le MDG applique des markup autour de 3 quand le Premium n’hésite pas à monter jusqu’à 10. Ce qui n’empêche pas le premier de perdre du terrain car il ne séduit plus les nouvelles générations. Cela s’explique aussi parce que son cœur de clientèle a vieilli et que les marques n’osent pas froisser les dernières fidèles en renouvelant leur style.
Les profits du MDG baissent et les premiers déficits apparaissent. Les enseignes décident alors de réduire leur budget communication et n’investissent plus dans de nouveaux concepts de magasins. Ce qui ne fera qu’accentuer leur décrochage en terme d’image.
Internet et les réseaux sociaux
Le e-commerce n’a pas de suite été vu comme une opportunité par le MDG. Il faut dire que ce n’est pas si simple de prendre le risque de détourner une partie de sa clientèle vers internet, lorsque l’on gère jusqu’à plusieurs centaines de magasins. Ces vastes réseaux permettaient de se rapprocher toujours plus des clients, ce qu’internet fait encore mieux et à moindre coût. Sézane, a pu concurrencer les leaders du secteur sans ouvrir de magasin.
Même chose avec les réseaux sociaux que les nouvelles marques, digital natives et pure players, maîtrisent bien mieux que les anciennes. Ce n’est pas si simple d’enrôler les influenceuses stars lorsque ces dernières déclinent poliment tout partenariat avec des marques peu valorisantes aux yeux de leur fan club.
Ceci étant, le MDG a finalement pris le virage du digital. Mutualisation (ou pas) des stocks, gestion de database, CRM, achat de visibilité, référencement, gestion de retour etc. Le e-commerce est un métier que les retailers classiques ont appris. Mais internet, malgré le coup de pousse des confinements, ne tient pas toutes ses promesses et ne saurait être la bouée de sauvetage de marques ayant des problèmes d’image et d’offre. De plus ce marché est promophile, il contribue donc à l’accroissement du poids des promotions dans le chiffre d’affaires pour des marques qui n’avaient pas besoin de cela.
Moins de vision, plus de gestion
Les marques ont très souvent été créées par des entrepreneurs visionnaires pourvus d’un sens inné du commerce. Naf Naf et Kookaï sont 2 bons exemples. Lorsqu’ils ont cédé leur marques, à un groupe par exemple, ils ont été remplacés par des gestionnaires, des financiers plus à l’aise avec Excel qu’avec une cliente en chair et en os. Beaucoup de marques ont alors perdu leur âme voire leur pérennité.
Le retail n’a pas d’école attitré, les écoles de commerce n’enseignent pas le commerce à proprement parlé. Les nouveaux dirigeants n’ont pas toujours pu ou su s’appuyer sur les compétences déjà présentes. Les collections ont été négligées par manque d’intérêt et/ou de goût, les effectifs réduits et le bon sens commercial a cédé la place à une recherche insatiable de productivité, au détriment de l’expérience client, pierre angulaire du retail. La clientèle n’y a pas trouvé son compte, les marques du MDG non plus.
Conclusion
Plus cher que le bas de gamme et moins désirable que le Premium et le luxe, le MDG rencontre plus de difficultés que les autres segments du prêt-à-porter. On observe d’ailleurs la même chose dans d’autres industries telle que l’automobile par exemple où les marques généralistes luttent pour conserver une place entre le low cost et le haut de gamme.
La montée en gamme semble une bonne stratégie. Elle est très coûteuse et présente de nombreux risques, ce que ne peuvent plus se permettre beaucoup de marques. Mais rester dans la position actuelle ne sera pas tenable bien longtemps de toutes façons.
Pourquoi ne pas faire au Premium ce qu’il a fait au luxe ?
En imitant les codes du luxe, le Premium ou «luxe abordable» a réussi à lui prendre des parts de marché. Cependant, même si beaucoup de clientes trouvent ces marques trop chères, elles continuent de les acheter par manque d’alternatives. Leur succès sur Vinted est d’ailleurs un bon indicateur.
Il y sûrement là une carte à jouer pour une marque qui se positionnerait en «Premium abordable». Seules conditions : avoir une identité forte et des collections désirables.
Avoir un territoire et un style définis, ou une expertise technique permet également de conserver un niveau de prix moyen. Carhartt, Nike et les marques de sport lorgnant sur le lifestyle sont de bons exemples.
Sylvain Bronzino
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