Seconde main : Les marques doivent-elles investir le marché ?

Alors que Vinted, Vide Dressing et Vestiaire Collective battent des records de reventes pendant les fêtes de fin d’année, le marché de la seconde main bouscule l’industrie de la mode. Il représentait déjà plus d’1 milliard d’euros en 2022. La marge de progression reste cependant immense lorsque l’on sait qu’en France la mode représentait 117 milliards en 2019. D’ailleurs en 2021, les achats de prêt-à-porter d’occasion ont augmenté de 51 % (selon l’Observatoire Natixis Payments) soit un bond de 140 % en deux ans. Alors, les marques doivent-elles investir le marché de la seconde main ?


Qu’est-ce que le marché de seconde main ?

La seconde main désigne la consommation de produits ayant déjà été vendus au moins une première fois. Le marché de l’occasion existe depuis le Moyen-âge puisque les maîtres donnaient parfois leurs vêtements usés à leurs serviteurs en guise de paiement. Quand au concept de la friperie il est apparu au début du 19ème siècle en même temps que l'obsolescence du vêtement. Paris était même une place incontournable et le quartier du temple exportait des fripes dans le monde entier ! 
Les produits de luxe ont été les premiers concernés, par exemple la bourgeoisie revendait ses vêtements pour mieux suivre la mode. Ainsi, friperies et boutiques de dépôt vente se sont développées mais l’apparition des plateformes de revente en ligne tels que Ebay, leboncoin et bien sûr Vinted ont considérablement démocratisé le marché de l’occasion en proposant une offre plus large en terme de prix. C’est là que se situe la nouveauté.




Pourquoi les consommateurs sont-ils si nombreux à priser les articles de seconde main ?
 
Dès le début des années 90, les changements de consommation apparaissent et se renforcent dans les années 2000. Le consommateur est de plus en plus critiques vis-à-vis des marques. Malgré la délocalisation en Asie, les prix augmentent alors que la qualité perçue baisse. La multiplication des offres promotionnelles n’a fait que renforcer les doutes sur la valeur.

Raison plus récente: la prise de conscience environnementale, l’industrie textile étant l’une des plus polluantes au monde. Ce mouvement « Buy Less » ou « Slow Fashion » met en pratique la décroissance économique. La génération Z se tourne aussi vers une consommation qu’elle perçoit comme plus responsable. 

La seconde main offre la possibilité de vider son placard, faire des économies, pouvoir réinvestir la somme gagnée tout en limitant son impact environnemental. Elle permet aussi de s’offrir à moindre coût des marques inaccessibles normalement. 

Enfin, le consommateur est moteur de la démarche. Il est vendeur, pas seulement acheteur. Sa participation active renforce son intérêt pour la seconde main. 
 
Quelles sont les marques ayant franchi le pas?

De très nombreuses marques ont développé leur propre plateforme de seconde main. C’est le cas par exemple d’Aigle avec « Second souffle », The Kooples avec « Second Love », ou Balzac avec « Seconde Vie » etc. Elles permettent de renvoyer vos articles afin de bénéficier d’un bon d’achat (ou d’une carte cadeau) valable sur du neuf ou de l’occasion, sur le site web ou en boutique. 

« Isabel Marant Vintage » fonctionne de la même manière mais les bénéfices sont reversés en intégralité au fond de dotation Isabel Marant engagé pour l’éducation des femmes et le soutien de l’artisanat des communautés autochtones. 
Certains enseignes sous-traitent le processus. Par exemple le service [Re]vendez des Galeries Lafayettes, dont les articles collectés sont ensuite rachetés par la start up Freepry. 

Kiabi propose un espace seconde main au sein de ces magasins et Petit Bateau, pionnier de la seconde main avec son service « Changer Demain », a même installé à Paris un pop-up store dédié aux articles d’occasion.
 
Les avantages 
 
Le marché de la seconde main présente d’abord un avantage en terme d’image. Il permet aux marques de proposer une consommation plus responsable, dans l’air du temps, tout en générant de nouvelles ventes par le biais des bons d’achats : c’est aussi une démarche de fidélisation. 

C’est l’opportunité pour des enseignes comme Kiabi d’attirer de nouveaux clients grâce à des prix plus bas encore. Pour résister à des concurrents comme Primark ?
Certaines marques premium peuvent être tentées de se réapproprier une partie de la valeur générée par les plateformes, qui repose au bout du compte sur l’attractivité de leur nom.

La récupération de produits d’occasion est aussi une opportunité de recyclage de la matière s’inscrivant dans une démarche RSE. 
 
Les inconvénients 
 
Le greenwashing : l’aspect business prend le pas sur l’éthique. Toutes les marques surfent sur la tendance et la concurrence fait rage. Les marges du secteur sont basses ce qui peut pousser certains à ne pas tenir leurs engagements. Le risque de générer un bad buzz est d’autant plus grand que les consommateurs doutent des déclarations des marques. 

Le bon d’achat n’est-il pas un levier de croissance des ventes ? Une promotion déguisée contraire à l’esprit « slow fashion » et décroissant de la démarche initiale ? 

La démarche ayant tendance à se généraliser voire se banaliser, la mettre en pratique n’est plus un argument de différenciation, plutôt une obligation marketing. Il faut maintenant trouver un autre argument, une autre démarche encore plus responsable pour faire la différence, si c’est possible. 

Certes la mode est un éternel recommencement. La tendance d’aujourd’hui s’inspire du passé en l’actualisation. Mais  la seconde main fige le processus créatif. L’économie circulaire ne crée rien de nouveau, s’ensuit un appauvrissement de l’offre globale en remettant sur le marché des produits vus et revus. Un sentiment de lassitude peut finir par voir le jour, poussant les clients à réorienter leurs dépenses vers des secteurs plus novateurs. Les articles de luxe dans leur dimension intemporelle font ici exception, conservant une grande partie de leur valeur même d’occasion. 


La cannibalisation est aussi à craindre. Lorsque le prix est l’argument, la seconde main capte les dépenses au détriment d’articles full price. Un peu comme le fait le réseau d’outlets. Les marques ont-elles intérêt à multiplier les offres moins chères que leurs prix de base dans l’espoir de capter une clientèle seulement avide de bonnes affaires ? 

La seconde main n’est pas une réponse au besoin de réduire les promotions, le bon d’achat en est une. En outre elles sont déjà bien présentes sur les plateformes. 

La logistique de remise en circulation de ces produits n’est pas neutre d’un point de vue environnemental, elle peut nécessiter des interventions humaines et du reconditionnement. 

L’image de la marque. Un produit déjà porté peut avoir subi des dégradations même légères, il ne présentera pas le même niveau de qualité que le produit neuf. Une marque de luxe dont l’image repose sur l’excellence et le rêve a t’elle un intérêt à présenter sous le même toit sa nouvelle collection et des articles de seconde main ?
La réponse est non, en revanche à l’instar de Balenciaga, il est possible de capter ce marché en sous-traitant le processus. Le produit repris est vendu sur les plateformes du prestataire (Reflaunt) et le client bénéficie d’un bon d’achat à dépenser dans une sélection de boutiques de la marque. 
Il convient alors de s’assurer du sérieux du prestataire choisi pour éviter une diffusion incontrôlée des produits récupérés de la sorte. Demeure cependant un risque de banalisation de la marque par la perte de son exclusivité. 
 
Quelles alternatives ? 

Patagonia est un bon exemple d’entreprise qui place la durabilité au cœur de sa stratégie depuis le départ. Chaque année, la marque outdoor répare plus de 100 000 articles et en crée de nouveaux à partir de matières premières de vêtements irréparables. 
Avec son programme « Renewed Take Back », The North Face propose de remettre à neuf des articles afin de les remettre à la vente avec une étiquette spécifique ou de les recycler quand la réparation est impossible. 

Petit Bateau s’est lancé très tôt dans le recyclage des tissus non utilisés ou des vêtements trop abîmés dans le but de produire du fil recyclé. 

Toutes ces initiatives de fond qui vont plus loin que la simple remise en vente d’articles de seconde main, ajoutent de la valeur aux marques en asseyant leur crédibilité et en renforçant la fidélité des clients.

Conclusion
 
Les marques ont certainement un intérêt à proposer de la seconde main pour répondre aux attentes des consommateurs. Cependant, elles doivent être vigilantes afin de ne pas donner l’impression qu’elle surfe sur la tendance juste pour faire plus de bénéfices.Si l’ambition RSE est sincère, il existe de nombreuses actions qui contribueront à crédibiliser la démarche plus efficacement que la seconde main. Les marques outdoor américaines, pionnières du secteur, ont de quoi inspirer. 

Laisser l’intégralité du marché aux plateformes qui profitent de la notoriété des marques serait également une erreur. Il conviendrait donc de développer une stratégie « seconde main » adaptée à son niveau de gamme. 

Pour finir, il faut garder à l’esprit que l’économie circulaire vise la réduction de l’impact environnemental et indirectement la décroissance de la consommation. Est-ce vraiment ce que souhaite l’industrie de la mode ? Le secteur s’est déjà contracté de 15% depuis 2010. La créativité et l’innovation sont plus que jamais indispensables au développement pour ne pas dire à la survie du secteur. 


Fanny Mruck, Sylvain Bronzino 

 

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