Collab Streetwear : Comment le luxe s’est offert une « street cred »
En revanche, l’intérêt pour les acteurs des 2 secteurs est évident. Cet échange de crédibilité, qui a pourtant tout du mariage de la carpe et du lapin, se montre particulièrement lucratif. Pharrell Williams, icône de la musique et du style choisi par Louis Vuitton, n’est que le dernier épisode prometteur de cette union.
La rue a des goûts de luxe
Signes extérieurs de richesse et de réussite (réelles ou superficielles), les articles de luxe sont convoités par toutes les couches sociales. Le Hip Hop, soft power culturel puissant, s’est tout de suite montré sensible au streetwear puis, succès aidant, au luxe. Ainsi dans les années 80, les rappers étaient fiers de leurs sneakers et de leurs chaînes en or.
Les Run DMC affichaient leur préférence pour la marque aux 3 bandes dans leur morceau « my Adidas », Schoolly D roulait clairement pour Fila dans « put your Filas on ».
Fortune faite, les stars du rap affectionnent à présent les maisons de luxe européennes, montrant la voie à des hordes de fans à travers le monde.
Le rapper Radric Davis a choisi « Gucci Mane » comme nom de scène, le titre « Fashion Killa » d’A$AP Rocky est un véritable annuaire de la mode, il cite : Prada, Dolce & Gabbana, Balenciaga, Helmut Lang, Alexander Wang, Donna Karan, Jean Paul Gaultier, Jil Sanders, Costume National, Ann Demeulemeester, Lanvin, Balmain, Dior, Tom Ford, Thom Browne, RAF Simons, Versace etc. Une déclaration d’amour que Dior ne laissera pas sans réponse.
Le luxe convoque « The Street Spirit »
Ce qui est « cool » vient le plus souvent de la marge. Les leaders d’opinion influencent les early adopters qui à leur tour assurent la diffusion auprès du grand public.
Dans le courant des années 2000, les maisons de luxe ayant confié leurs collections à une nouvelle génération de designers, se montrent réceptives à la street culture. Cette dernière va leur permettre d’entrer en contact avec une clientèle plus jeune, de régénérer leur créativité en enrichissant leurs sources d’inspiration. Le luxe ne veut pas être assimilé à une tradition poussiéreuse, il entend être un acteur phare de la modernité.
Ricardo Tisci, directeur artistique choisi en 2005 par la prestigieuse maison de haute couture GIVENCHY, sera l’un des premiers à lancer la tendance « street-luxe », en introduisant notamment des t-shirts et des sweats ornés d’une tête de Rottweiler, ce qui n’est pas sans évoquer les combats de chiens organisés illégalement, immortalisés en 2001 dans le film «Amores Perros» d’Alejandro González Iñarritu.
En 2009, Kanye West à la pointe de ce rapprochement, crée une collection inédite de baskets pour Louis Vuitton. À la mort de Virgil Abloh en 2021, une rumeur laissera même entendre qu’il pourrait lui succéder. C’est Pharrell Williams qui sera finalement nommé pour s’occuper de la collection homme. Il connaît déjà la maison pour avoir créé une paire de lunette de soleil en 2004.
En 2017, Kim Jones alors désigner des collections homme chez Louis Vuitton, lance une collaboration aussi audacieuse qu’inattendue avec Suprême, marque mythique de streetwear américaine. L’association de ces 2 géants dans leur domaine respectif sera un vrai succès. Les pièces de cette collection ont pris une valeur inimaginable en alimentant un marché de revente spéculative.
L’année d’après, Kim Jones rejoindra Dior laissant sa place à Virgil Abloh, icône de la street culture et fondateur de la marque Off-White, label streetwear « hype ». En 2021, Louis Vuitton confiera la création d’une capsule au rapper 21 Savage. Le géant du luxe joue cette carte à fond avec à chaque fois des productions de qualité.
Depuis, Gucci a collaboré avec Adidas et The North Face, Prada avec Adidas, Maison Margiela avec Reebok et Salomon, Balmain avec Puma, Tiffany avec Nike etc. On observe également une injection croissante de pièces streetwear dans les collections. Quelle maison n’a pas son hoodie logo ?
Kenzo est sûrement l’un des exemples les plus marquants. En 2012 Carol Lim et d’Humberto Leon en prennent la direction artistique. La maison jusque-là réputée pour son tailoring, bascule dans le streetwear. Le sweat-shirt Tiger brodé relance à lui seul la marque. Ils seront remplacés en 2021 par Nigo, fondateur de la marque A Bathing Ape (BAPE) et membre du groupe de rap japonais Teriyaki Boyz. Il fut repéré par LVMH 1 an plus tôt à l’occasion d’une collaboration avec Louis Vuitton. Il connaît aussi très bien Pharrell Williams avec qui il a fondé la marque Billionaire Boys Club.
Conclusion
Le luxe, animé par la volonté de rafraîchir son image, a cédé un peu d’intemporalité au profit du temporel voire du temporaire car les tendances de la mode ne sont pas faites pour durer. Il apparaît ainsi moins figé, plus contemporain, moins élitiste, toujours désirable sans jamais être plus accessible car les prix restent stratosphériques.
Stratégiquement, ce nouveau positionnement permet de trianguler toute concurrence créative, d’où qu’elle vienne. Les marques Premium apparaissent d’ailleurs moins dans l’air du temps.
D’un point de vue social, la démarche peut être interprétée comme la volonté de présenter une image plus inclusive.
Le luxe a gagné sa « street credibility » en devenant un acteur majeur du streetwear. Ce dernier a conquis ses lettres de noblesse au point que les frontières se brouillent. Off-White vend des sweat-shirts autour de 1000€, comme Dior et Balenciaga ! De leur côté, les rappers remplissent à merveille un rôle d’agent de liaison entre les 2 univers.
À présent, les clients attendent-ils vraiment la prochaine paire de sneakers de luxe ? Le succès pour l’instant très mesuré de la Nike Air Force 1 griffée Tiffany invite à questionner le modèle.
Chanel a bien confié une capsule à Pharrell Williams, décidément partout, mais n’est pas en pointe du mouvement. Quant à Hermès, l’institution se tient à l’écart pour l’instant. A-t-elle besoin de cela ?
L’incontrôlable Kanye West, diagnostiqué bipolaire, multiplie les polémiques. Suite à ces déclarations antisémites, les marques ont stoppé toute collaboration avec lui. Adidas ne sait plus quoi faire des stocks de baskets « YEEZY » et évoque une perte de 700 millions d’euros.
Les noces du luxe et du streetwear sont touchées, mais pas coulées. Gageons cependant que cette exemple va en faire réfléchir plus d’un.
Sylvain Bronzino
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