Management : de la difficulté de prendre des décisions et d’en assumer les conséquences

Dans le film, Le Direktør de Lars Von trier, le propriétaire d’une entreprise décide un jour de la vendre. Au moment de la créer, plutôt que d’en assurer officiellement la direction, il avait inventé un président que personne ne voyait jamais sauf lui et dont il s’était fait le porte-parole, ce qui lui évitait d’assumer les décisions impopulaires

Malheureusement pour lui, les futurs acquéreurs insistent pour négocier directement avec le président. Le propriétaire est alors contraint d’engager un acteur de seconde zone pour l’incarner. Le comédien se prendra très vite au jeu et s’éloignera du scénario écrit pour lui. 

Cette comédie sarcastique qui mérite le détour illustre en la grossissant, l’une des lâchetés managériales qui émaille le quotidien en entreprise. Imputer à sa hiérarchie l’origine d’une mauvaise nouvelle, reste un grand classique. Mais si vous ne décidez pas, vous n’êtes pas considéré comme le bon interlocuteur. 


Pourquoi est-il difficile de décider ? Parce que cela nous expose à un triple risque : l’impopularité, l’erreur et la honte. Or beaucoup n’ont pas envie de cette responsabilité. Passons d’abord en revue les techniques d’évitement les plus courantes avant de se pencher sur l’antidote capable de redonner à la décision la dimension qu’elle mérite.


Ne pas prendre de décision

« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » Henri Queuille


Cette citation dont on dit qu’elle inspire beaucoup d’hommes politiques, connaît également un beau succès dans le monde de l’entreprise. Face à un problème, la méthode en 5 étapes est aussi simple qu’efficace : 

  1. Ignorer le problème
  2. Nier en être informé
  3. Minimiser son importance et son urgence 
  4. Patienter jusqu’à ce que le problème se règle de lui même ou que quelqu’un d’autre s’en charge
  5. En fonction des résultats, s’en attribuer les mérites et/ou critiquer la méthode choisie par celui qui l’aura réglé.

Multiplier les strates hiérarchiques est ici un atout car rares seront les problèmes qui remonteront jusqu’au décideur et chaque échelon est un fusible qui protège celui du dessus en cas de dysfonctionnement.  


Déléguer toute décision à un comité

« Si tout le monde est responsable, personne ne l’est »



Abritée derrière une collégialité de circonstance, l’idée consiste à remettre la décision entre les mains d’un comité regroupant un maximum de personnes. Peu importe la décision qui sera prise in fine, elle sera collective comme les conséquences et les responsabilités. 


Les comités sont loins d’être tous inutiles ou nuisibles à la prise des décisions, ils peuvent éclairer une problématique en apportant de nouveaux éléments de réflexions mais ils ne sauraient être un mode de gouvernance par défaut. Car malheureusement quand tout le monde est responsable, personne ne l’est, ce qui peut entraîner de très mauvaises décisions.


Par ailleurs, dans un comité élargi, les véritables experts du sujet sont souvent en minorité, leurs voix peuvent être couvertes par celles d’intervenants aussi éloquents qu’ignorants. Si le décideur suit la majorité, ce qui serait logique vu le processus choisi, rien n’indique que cela sera la meilleure chose à faire dans 100% des cas. En démocratie, suivre la volonté du plus grand nombre conduit rarement à prendre des décisions impopulaires mais nécessaires. 


Aussi, la parole de l’expert doit être prépondérante car elle l’engage plus que celle du profane et le chef doit conserver sa liberté de décider en dernier ressort, même au prix de l’impopularité. 


Le recours systématique aux cabinets de consultants 

« Un bon consultant c’est quelqu’un qui regarde la montre de son client pour lui donner l’heure »


Il existe une multitude de très bonnes raisons de faire appel à des consultants. Ne pas disposer des compétences en interne en est une. Mais faire passer une décision déjà arrêtée, par la voix d’un consultant externe, dans un simulacre de consultation, en espérant la rendre plus objective ou acceptable n’en est plus une. D’abord parce que les directions d’entreprises ont usé et abusé du procédé, aussi plus personne n’est dupe. Ensuite parce ce que les équipes internes se sentent dévalorisées. 


Prendre et assumer une décision fait partie intégrante du management, s’y soustraire ne peut qu’affaiblir et discréditer le management.


Faire comme les autres

« Si les autres font comme ceci, c’est qu’ils ont des raisons que je ne connais peut-être pas mais dont je ferais bien de m’inspirer »



Plus une décision est importante, plus il y a de chances qu’elle soit influencée par ce que l’on appelle la Preuve Sociale. Ce phénomène psychologique puissant et très ancien apparaît lorsque que nous ne savons pas quoi faire dans une situation particulière. Nous serons alors tentés d’imiter le comportement des autres. Par exemple si nous croisons une foule qui court en hurlant, nous aurons tendance à lui emboîter le pas, plutôt que d’aller vérifier par nous même s’il y a un danger. 


Pour un chef d’entreprise, savoir ce que font les concurrents est très important. Pour autant les imiter systématiquement n’est pas ce qu’il y a de mieux à faire. Adopter une stratégie différente peut être la source d’un grand succès, mais aussi d’un grand risque en cas d’échec. Certains décideurs suivront donc les autres avec plus ou moins de succès mais avec la consolation de ne pas avoir pris un risque particulier que l’on pourrait leur reprocher. 


Choisir le court terme au détriment du long terme


Les décisions les plus faciles sont celles qui offrent un bénéfice à court terme. Mais il arrive régulièrement que ce faisant, le problème n’est que reporter voire aggraver. 

Certains décideurs en ont fait leur marque de fabrique, ils évitent soigneusement l’impopularité mais pas les erreurs dont ils laissent les conséquences aux suivants. Leur image passe avant le succès de l’entreprise.  


Ces quelques exemples n’épuisent pas le registre des esquives et ne résument pas ce qu’est le management car le courage managérial figure encore et toujours dans le haut de la liste des compétences attendues chez un décideur. Voyons maintenant l’antidote. 


Assumer les conséquences de ces décisions

« Il est difficile d’imaginer une façon plus stupide ou plus dangereuse de prendre des décisions qu’en les mettant entre les mains de personnes qui ne paient aucun prix pour avoir tort. » Thomas Sowell

Dans son livre « Jouer sa peau » parue en 2017, l’essayiste Nassim Nicholas Taleb développe l’idée provocante de ne laisser prendre des décisions qu’aux personnes prêtes à mettre leur peau en jeu en cas d’échec. On peut y voir une certaine proximité avec la célèbre citation de Thomas Sowell. 


Pour lui, le décideur qui n’assume pas personnellement les conséquences de ses décisions ne mérite aucun crédit. Simplement parce que nous n’apprenons de nos échecs que lorsque nous en payons le prix. Si nous échappons à nos responsabilités, nous reproduirons les mêmes erreurs. 


Il y a deux aspects dans cette idée. Le premier est la notion de conséquences à assumer en cas d’échec, ce qui est affaire de justice et même d’honneur. Dans le monde de l’entreprise, il n’est bien entendu pas question de mettre sa vie en jeu mais payer le prix de ses erreurs doit connaître une transposition raisonnable et effective. C’est déjà le cas pour le middle management qui dispose souvent d’une rémunération variable. Mais qu’en est-il pour le top management ? Combien de CEO sont remerciés par l’octroi d’un golden parachute et ce malgré leurs piètres performances ? 


« pathema mathemata : les afflictions nous servent d’instruction » Hérodote 


Le second aspect, même s’il dépend du premier, me semble au moins aussi important. Apprendre de ses erreurs. La décision n’est pas une science exacte, mais un processus :

  1. S’impliquer personnellement dans la réflexion et la prise de la décision
  2. Tout mettre en oeuvre pour que la décision prise soit la bonne
  3. Accepter l’hypothèse de l’erreur comme une étape 
  4. En assumer la responsabilité lorsqu’elle se produit
  5. En tirer les leçons qui permettront de ne pas la réitérer

Un manager avec qui j’ai travaillé m’avait dit au début de notre collaboration : « tu peux faire toutes les erreurs possibles mais jamais plus d’une fois chacune », la formule était à la fois encourageante et exigeante. 


En conclusion, le décideur doit être impliqué dans les décisions qu’il prend. Il doit y avoir un enjeu personnel. Si éviter les erreurs n’est pas toujours possible, les reconnaître et en tirer des enseignements est impératif. 

Ce sont des qualités pas si courantes qu’il faut rechercher lorsqu’on recrute un manager. 


Sylvain Bronzino 

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