Déclin du commerce des centres-villes : Comment l’enrayer ?

Dans le dernier baromètre de l’association d’élus « Centre-ville en Mouvement » 85% des interrogés se disent préoccupés par le déclin commercial des centres-villes car sans être nouveau, le phénomène gagne du terrain. En particulier dans les villes de moins de 100.000 habitants. 


Quels sont les processus à l’œuvre et comment les enrayer ?


 

1/ L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 


L’aménagement des agglomérations est aussi un instrument puissant d’organisation des activités commerciales. Or les décisions des élus n’ont pas toujours été dans le sens d’un développement harmonieux entre centres-villes et périphéries. Difficile de résister aux promesses de créations d’emplois et de nouvelles taxes professionnelles. 


La construction de centres commerciaux (C.C.) en périphérie a drainé une part croissante des ouvertures de magasins, les clients ont suivi le mouvement en délaissant progressivement les magasins des centres-villes. 


En parallèle, la « piétonnisation » des rues commerçantes, la réduction des places de stationnement et la construction de parkings payants ont exaspéré la clientèle. 


2/ LA STRATÉGIE DES ENSEIGNES 


Historiquement le développement des enseignes passait par un plan d’ouvertures tous azimuts visant à se rapprocher toujours plus des clients. Cette stratégie de quadrillage systématique, d’abord gagnante, a eu plusieurs conséquences néfastes à long terme : 

  • Une uniformisation de l’offre avec la montée en puissance des chaînes nationales. Toutes les rues commerçantes se ressemblent. 
  • La croissance du parc de magasins a dépassé celle de la clientèle et surtout de son pouvoir d’achat. Le nombre de parts augmentant plus vite que la taille du gâteau, la taille des parts diminue. 
  • Une augmentation des loyers induite par la compétion entre grandes enseignes pour obtenir les meilleurs emplacements.
  • Une concurrence exacerbée qui au lieu de pousser les marques à se distinguer par le style et la qualité, les conduit à se battre sur le terrain du prix et des promotions qui fragilisent leur rentabilité.
  • Disparition progressive du réseau de magasins multi-marques, incapables de s’aligner sur la politique agressive des chaînes. Les cessations d’activités sont aussi causées par l’absence de repreneur ou leur difficulté d’obtenir des financements auprès des banques. 

Inévitablement, les marques ont dû procéder à des arbitrages, le plus souvent au profit des C.C. qui présentent les intérêts suivants : 

  • Les locaux sont en moyenne bien plus grands et plus facile à agencer.
  • La présence d’un hypermarché ou de locomotives telles que Zara, Apple, Primark etc. maintient un flux client régulier et soutenu. 
  • Les plus grands disposent d’une large offre de restauration et de loisirs que les centres-villes peinent à maintenir. 
  • De grands parkings permettent d’accueillir les clients en grand nombre.
  • Ils permettent de rationaliser les négociations de loyers en réduisant le nombre d’interlocuteurs. Le fait d’exploiter plusieurs unités chez le même bailleur est un levier puissant. 
  • Les foncières déroulent le tapis rouge pour attirer des enseignes leaders, certaines vont jusqu’à participer financièrement à leurs travaux d’aménagement.

3/ LES LOYERS


Les locaux vacants se multipliant, les loyers auraient dû baisser. Cependant de nombreux bailleurs, habitués par plusieurs décennies de hausses ininterrompues, préfèrent laisser leur locaux temporairement vides plutôt que d’accepter une baisse des valeurs locatives. 


En outre, les loyers des mois de confinement ont dû être payés. Aujourd’hui, c’est l’inflation sur laquelle une partie des loyers est indexée qui contribue à faire exploser les charges locatives. Une nouvelle vague de fermetures est à craindre. 


4/ INTERNET

Dans les 15 derniers années, la montée en puissance du e-commerce ne pouvait que participer au déclin du commerce traditionnel. Les magasins ne sont plus indispensables pour servir la clientèle, même la plus reculée.


Cependant, il serait injuste d’accuser internet d’être l’unique ou même le principal fossoyeur du commerce physique. En 2022, le e-commerce représentait 14% du commerce de détail. C’est bien mais encore très loin des prédictions des experts du secteur. La vente de biens sur internet a même reculé de 7% en 2022 (source: francenum.gouv.fr)


Une part non négligeable de la clientèle reste fidèle au shopping en magasin. L’expérience du clic&collect durant le Covid ainsi que l’immense vague de fréquentation au déconfinement le prouvent.


5/ LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE 

Grèves, manifestations, dégradations, confinements etc. Le contexte socio-économique des dernières années a mis des bâtons dans les roues d’un commerce déjà fragilisé. 


Le pessimisme ambiant et la paupérisation des classes moyennes jouent clairement un rôle dans le déclin du commerce. La baisse du pouvoir d’achat pousse logiquement la clientèle vers les enseignes « bas de gamme » des C.C. 


6/ COMMENT ENRAYER LE PROCESSUS ?


Les pouvoirs publics ont tenté de stopper le déclin du commerce de centre-ville. Avec des résultats plutôt mesurés jusqu’à présent. 


LA CDAC


La loi de modernisation de l’économie votée en 2008, a créé une commission départementale d’aménagement commercial (CDAC).


Cette instance est sollicitée pour autoriser les exploitations commerciales. Elle examine les projets de création ou d’extension des magasins du commerce de détail supérieurs à 1000 m2 de vente. Mais les critères économiques sont ignorés au profit de ceux en rapport avec l'aménagement du territoire et du développement durable.


Aussi dans la pratique, les projets de constructions de C.C. n’ont été impactés que sur leur forme, pas sur leur nombre. Mentionnons également que la CDAC a remplacé la CDEC (commission départementale d’équipement commercial, créée en 1993) dont les critères étaient plus strictes. Par exemple, les autorisations étaient nécessaires à partir de 300m2. 


Par ailleurs, il n’est malheureusement pas rare de voir certains projets voir le jour sans aucune autorisation ou s’étendre sur des surfaces dépassant celles autorisées. Les contrôles, pénalités et destruction sont en revanche bien plus rares. Qu’est-ce qui pousse l’état à faire preuve de tant de souplesse ? 


On compte aujourd’hui plus de 800 C.C. en France qui génèrent un CA d’environ 130 milliards d’euros par an (5% du PIB). Ils regroupent 36.000 commerces de détail, soit 10% du total. (Source: Toute la Franchise)


LA LOI CLIMAT ET RÉSILIENCE 

La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 contient une disposition qui a pour objectif de réduire de moitié le rythme d’artificialisation des sols entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et d’atteindre d’ici 2050 une artificialisation net de 0% (les nouveaux projets sont possibles à condition d’être compensés par des remises en nature).


Dans l’absolu le développement des C.C. pourrait être freiné mais pas stoppé. Il est encore trop tôt pour l’évaluer mais sur le papier la mesure semble plus contraignante que les précédentes. 


LES MANAGERS DE VILLE


En première ligne, des municipalités ont pris leurs responsabilités en embauchant des managers de ville / de commerce, qui animent et assurent la coopération des différents acteurs pour faire des centres-villes un lieu attractif et vivant sur le plan commercial.


D’autres optent pour l’achat de locaux reloués avec des loyers modérés pour faciliter l’installation de jeunes entrepreneurs.


Ces initiatives méritent d’être soulignées car elles traduisent un changement dans les relations entre les collectivités et les acteurs du terrain. 


L’AFFILIATION


Les villes de moins de 100.000 habitants (ex: Vannes, Colmar, Lorient, Angoulême, Poitiers, Vienne, Montélimar, Valence, Chartres etc.) présentent un intérêt commercial non négligeable que les chaînes ne savent pas toujours exploiter avec leur modèle standardisé taillé pour les grandes villes. 


L’affiliation mérite vraiment d’être étudiée car il s’agit du partenariat idéal pour ce marché. Il associe le savoir-faire d’une marque à l’esprit entrepreneurial d’un acteur local qui connaît parfaitement sa clientèle et qui est pleinement investi dans le succès de son magasin.


LE TÉLÉTRAVAIL 

Le télétravail peut-être un facteur de rééquilibrage au profit des centres-villes. Une vague de citadins, en quête de qualité de vie (dont le métier le permet) s’est installée en province pour y vivre une partie voire toute la semaine. Les commerces de proximité des villes moyennes en ont bénéficié. 


Cependant nous sommes loin d’un raz de marée et s’il ouvre des perspectives dans l’organisation des entreprises, le télétravail ne fait pas l’unanimité. Beaucoup l’on d’ailleurs proscrit après l’avoir expérimenté. 


LA CRÉATIVITÉ 

Comme exposé plus haut, le commerce traverse une crise de sureffectif, il y a trop de magasins face à une demande qui s’étiole. Mais cette surabondance masque une pauvreté qualitative. 


Faire comme les autres, si possible un peu moins cher, semble être le mot d’ordre d’une profession en proie au doute. Nous sommes nombreux à penser que plus que jamais, une identité stylistique forte associée à une experience client exceptionnelle sont les deux ingrédients qui rendront possible la reconquête des clients, y compris en centre-ville. 


La défaillance des acteurs historiques qui n’ont pas su se renouveler, libère des places que des marques créatives et audacieuses occuperont avec succès. 


Sylvain Bronzino 


 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

« Accidental manager » : Comment sortir de l’ombre

Prêt-à-porter, le milieu de gamme a-t-il encore un avenir ?

État des lieux : où en est le service client ? Épisode 4 : Le match : Diptyque vs Serge Lutens