Le client peut-il fixer lui-même le prix de ce qu’il achète ?
À cause de l’inflation qui sévit actuellement, les prix ont atteint un niveau qui oblige de nombreuses personnes à déconsommer.
Certains clients en viennent à rêver de décider eux-mêmes des prix.
Est-ce envisageable à grande échelle ?
Comment sont fixés les prix ?
La fixation des prix dépend d'un nombre considérable de facteurs. En voici un aperçu :
- Le coût de revient (création, matières premières, transformation, fabrication, logistique, services, etc.) auquel s'ajoute la marge du distributeur final.
- Le mécanisme de l'offre et de la demande qui s'ajustent l'une par rapport à l'autre.
- La qualité et la valeur perçues à travers le prisme du marketing.
- La concurrence qui, en tendance, fait baisser les prix ou à l'inverse les situations de monopoles ou d'entente sur les prix qui les augmentent artificiellement.
- Le cadre législatif, exemple lois Egalim, Descrozaille, lois encadrant les soldes et promotions.
- L'intervention de l'État ou des collectivités. Par exemple, le blocage des prix de certains articles, des loyers, etc.
- Les taxes, telles que la TVA ou taxes spécifiques comme sur les carburants ou le tabac par exemple.
- La volatilité du cours des matières premières.
- La qualité et la quantité des récoltes agricoles.
- Au niveau macroéconomique, l'inflation monétaire qui correspond à une baisse de la valeur de l'argent face aux biens.
Que se passe-t-il lorsque le client fixe seul le prix ?
Les expériences où les clients sont totalement libres de fixer la somme qu'ils déboursent sont rares et semblent destinées à le rester. Voici quelques exemples :
« In Rainbows » de Radiohead
L'exemple le plus marquant au niveau mondial est probablement celui de Radiohead, en octobre 2007 lors de la sortie de son 7e album « In Rainbows ». Celui-ci était téléchargeable uniquement sur une plateforme dédiée, à un prix que le public fixait lui-même.
Le prix moyen payé par les clients était de £4. Mais 1/3 des albums ont été téléchargés gratuitement.
Ce prix moyen était très inférieur aux prix pratiqués par les plateformes à l'époque, les fans du groupe se sont donc montrés économes, voire pingres ou carrément profiteurs.
La démarche fut cependant profitable d’après Thom Yorke. L'album a été massivement téléchargé, ce qui a permis de récolter trois millions de dollars, avec une marge plus intéressante que s'il avait été sorti par un label ou sur iTunes.
Pour autant, le groupe n'a pas persévéré. Après 2 mois, « In Rainbows » était vendu £6. Il est encore disponible aujourd’hui mais à 9,75 €, soit pratiquement le même prix que sur les plateformes spécialisées.
Keith Green
L’expérience de Radiohead n'était pas la première du genre. Déjà en 1980, Keith Green, chanteur américain de musique chrétienne, produisit et vendit lui-même son troisième album « So You Wanna Go Back to Egypt », uniquement par correspondance et lors de ses concerts.
Le prix était fixé par le client. Peu d'informations ont circulé, mais on estime que sur les 200 000 copies acquises par les fans, 61 000 l'ont été gratuitement, soit 30% comme pour Radiohead 27 ans plus tard !
Don't Call Me Jennifer :
Pour la rentrée 2021, l'enseigne a lancé une opération marketing innovante :
« pour un produit, trois prix au choix ».
Les clientes pouvaient choisir entre 3 prix, sur une sélection de 100 produits. Par exemple, pour un jogging en coton, il était possible de payer 9,99 €, 14,99 € ou 19,99 €.
Le prix plancher était probablement dicté par l’obligation de respecter l'interdiction de vendre à perte en dehors des soldes.
Aucun résultat n'a été communiqué, mais il est facile de penser que le prix le plus bas fut le plus souvent pratiqué.
We Dress Fair
Le distributeur de marques durables We Dress Fair a cet été lancé un système de soldes libres. Le client est invité à choisir quel pourcentage de réduction il souhaite appliquer au produit qu'il convoite, entre -10% et -40%.
Coup marketing comme dans l'exemple précédent, mais ici le ressort est morale. On parie sur le fait que le client ne demandera pas le taux de remise le plus élevé, dans un contexte de commerce équitable et durable.
Bandcamp
Cette plateforme de musique en ligne est dédiée aux artistes indépendants. Ils peuvent y vendre leurs créations. Un prix minimum est souvent demandé, mais les fans ont la possibilité de payer davantage s'ils le souhaitent.
eBay
Pionnier de la revente, eBay permet aux clients de fixer le prix via des enchères, avec ou sans plancher, sur une grande partie de l'offre.
Ici les articles étant de seconde main, ils n’ont plus de valeur sinon celle que les clients voudront bien leur donner.
Les avantages potentiels de cette approche sont les suivants :
- Fidélisation des clients : Les clients pourraient se sentir plus engagés envers l'entreprise s'ils ont la liberté de décider du montant à payer.
- Faire le buzz : Une telle approche peut attirer l'attention des médias et du public en raison de son caractère innovant, ce qui peut accroître la visibilité de l'entreprise.
- Accès à une plus large clientèle : En permettant aux clients de choisir leur propre prix, l'entreprise peut attirer des clients qui auraient autrement été exclus en raison de contraintes financières.
- Possibilité d'ajustement de prix : Les prix fixés par les clients peuvent fournir des informations précieuses sur la perception de la valeur du produit ou du service, permettant ainsi à l'entreprise de réajuster ses prix de manière plus précise à l'avenir.
Cette approche présente également des défis :
- Les exemples de Radiohead et de Keith Green cités plus haut nous apprennent qu'il faut compter sur près d'1/3 des clients qui profiteront de l'opération pour obtenir le bien gratuitement.
- Mettre en risque la rentabilité de l'entreprise en comptant sur le client pour rémunérer équitablement l'ensemble des acteurs de la chaîne permettant la commercialisation d'un bien et ce malgré leur méconnaissance du processus.
- L'image de marque : Certains clients pourraient percevoir l'absence de prix fixe comme un signe de qualité médiocre ou de « désespoir commercial ». En effet, quelle maison de luxe se livrerait à une telle expérience ?
- La difficulté de la planification financière : L'absence de revenus constants et prévisibles peut rendre la gestion financière de l'entreprise plus complexe.
Quelques précautions à considérer :
- Limiter le nombre de biens concernés afin de réduire les risques financiers.
- Communiquer sur les enjeux sociaux d'un prix libre et juste.
- Afficher le coût de revient, le client ne décide finalement que de la marge.
- Afficher un prix suggéré, par exemple le prix moyen payé par les clients jusqu'à présent.
- Fixer un prix plancher, le client peut décider de donner plus en fonction de son niveau de satisfaction, du service par exemple.
Conclusion
Laisser le client fixer le prix de ce qu'il achète relève davantage d'une « approche sociale » de la consommation que d'une manière pérenne de faire du commerce.
Le prix libre confère les pleins pouvoirs au dernier maillon de la chaîne, mais un tel pouvoir s'accompagne d'une grande responsabilité et nécessite un niveau d'information élevé.
Apple ou Chanel ne laisseront jamais leurs clients choisir le prix de l'iPhone 14 ou du sac 2.55. L'image et la rentabilité des deux marques n’y résisteraient pas.
En revanche, un petit producteur agricole ou un commerçant vendant des produits peu ou pas transformés pourraient l'envisager, avec un minimum de précautions, car il est illusoire de croire que personne ne profitera du système.
En résumé, le prix libre est une utopie sympathique mais dont on perçoit rapidement les limites.
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